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RUSER - 2022 --------------------

Qu’elle s’incarne dans la fable, le mythe, le récit ou le film, sous les traits d’un renard malin, d’une Shéhérazade, d’une souris enrayant les plans d’un chat mal léché ou d’un escroc flamboyant, la ruse habite nos représentations et incarne en général une force apte à renverser pouvoirs, hiérarchies et ordres établis. Car si tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute, le rusé affirme sans en avoir l’air une supériorité qui place en ses mains le contrôle de la situation. Maître de l’inattendu, des apparences et souvent des horloges, il déjoue la vigilance en ne se donnant pas pour ce qu’il est, en opérant toujours un décentrement, un pas de côté qui le rend insaisissable… arrête-moi si tu peux !

Au-delà de la diversité de ses actualisations, la ruse porte en elle une force stratégique, celle qui remet en cause l’ordre des choses par la bande, jouant de la surprise pour soudain s’affirmer au grand jour et passer de l’ombre à la lumière. Bien joué, bien vu, bien eu. Le rusé possède une intelligence des situations qui le rend maître du jeu et des conditions qui lui permettront d’affirmer un ascendant sur ceux qui, au départ, semblaient parfois plus forts, plus malins, peut-être mieux nés que lui.

Nous, vivants - 2021 --------------------

Qu’est-ce qu’un virus ? Une particule microscopique infectieuse qui se réplique en utilisant le métabolisme d’une cellule hôte, se multiplie, migre d’une espèce animale à l’autre, mute, sommeille, se réveille, poursuit son évolution tant qu’il y a de la vie. Si l’on peut définir le vivant comme de la matière organisée qui se nourrit et se reproduit, la nature du virus fait débat puisqu’il n’a pas, seul, cette capacité. Un virus est une énigme posée au vivant, terrifiante et fascinante, libre et insaisissable, qui ne cesse de lui rappeler sa condition fondamentalement métamorphique.

Il aura fallu l’association explosive de quelques molécules organiques passées de l’animal à l’homme pour enrayer de façon totalement inédite notre course folle et confirmer – s’il le fallait encore – une des rares certitudes que nous ayons: la nécessité de changer de paradigme, celui du capitalisme industriel mondialisé fondé sur l’exploitation de la nature par l’homme, celui du modèle néolibéral de la data economy. La pandémie de Covid 19 ne vient pas seulement bouleverser en profondeur les équilibres sociaux, politiques et économiques du monde entier, elle nous oblige à nous (re)penser comme des vivants parmi d’autres. Parce qu’elle traverse nos corps et n’a que faire des lois humaines, elle met brutalement en évidence la dynamique exponentielle du vivant qui est de croître jusqu’à ce qu’un obstacle la contienne, l’obligeant à changer de forme, mettant en échec tout désir de contrôle.

Angles morts - 2020 --------------------

Le code de la route définit l’angle mort comme un « espace de non-visibilité ». Obstacles latéraux ou autres usagers de la route peuvent surgir d’un « à-côté », hors de portée du conducteur. Pas vraiment là mais pourtant crucial, dérobé aux sens mais bien présent, périphérique mais bientôt central, il requiert une attitude vigilante et active : tourner le regard sera le seul moyen d’apercevoir ce qui se tenait à l’écart, pour en quelque sorte rendre vie à l’angle mort. Le non-visible entre ainsi en relation avec le visible, le redéfinit, le questionne, le déplace, le détruit peut-être.

Au delà du code de la route, l’angle mort affecte directement la question des régimes de l’image, établissant des conventions, des modalités d’usage, des jeux qui déterminent nos manières de voir, et ce dans deux directions distinctes. [...]

Soyons fous ! - 2019 --------------------

Pour son dixième numéro, la revue Tête-à-tête choisit un titre sous forme d’invitation : « Soyons fous ! ».  À travers les œuvres et la pensée créatrice, elle propose à ses auteurs d’appréhender cette folie, peut-être nécessaire et magnifique, qui s’exprime dans une forme de démesure, d’excès, d’utopie ou de dystopie, mais encore de décalage ou de distorsion qui peuvent être la marque d’une lucidité tournée tant vers la franche rigolade que vers l’authentique désespoir. Que sa raison propre l’éclaire ou l’aveugle, le fou est conduit à prendre des risques, à transgresser, à déraper, à devenir aux yeux d’autrui et du sens commun un individu hors-norme. Cette folie amuse mais elle inquiète aussi car, dans un geste réfléchi ou pulsionnel, le fou peut basculer du côté de l’irrationnel (fun ou déviance) mais aussi dans une forme de sagesse, voire une certaine philosophie du monde. Faut-il donc être déraisonnable pour être fou ? [...]

Méditerraner - 2018 --------------------

méditerraner : vb. intr. 

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1) Ressentir un attachement profond aux rivages méditerranéens, s’y sentir chez soi, vivre de cette contemplation, en éprouver la nostalgie. C’est sa façon de faire du tourisme, il revient chaque année et passe ses étés à méditerraner.

 

2) Faire l’expérience conjointe de l’altérité et de la proximité, bricoler des identités mouvantes. Habiter l’espace même de la frontière, le rendre perméable. Mar. Caboter d’une culture à l’autre. Pour rejoindre Ithaque, Ulysse a longuement méditerrané. Spé. Traverser, placer tous ses espoirs sur l’autre rive, migrer.

 

3) Fig. Penser le monde comme archipel. Refuser l’homogène, le rectiligne, préférer le complexe, le discontinu. P. ext. Incarner ou propager cette pensée indépendamment de son ancrage géographique.

Dire de la Méditerranée qu’elle est un creuset est un poncif ; dire qu’elle est un carrefour une évidence. Et pourtant, depuis que son nom même convoque dans la conscience collective les bateaux échoués ou la paupérisation croissante de pays déchirés par la guerre ou ravagés par la crise, elle semble avoir changé de visage. En quoi la Méditerranée résonne-t-elle en nous ? Comment pouvons-nous incorporer son legs pour construire une relation au monde actuel ?

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Plutôt que d’en faire un concept ou une marque, que la langue en fasse un verbe. [...]

Disparaître - 2017 --------------------

Peut-on échapper aux régimes de visibilité de nos sociétés contemporaines ? S’afficher, être présent partout, exister sur les réseaux, laisser des traces de soi urbi et orbi, est-ce l’unique mode d’existence offert par une société ultra-médiatisée qui semble imposer pour seule eucharistie un « j’apparais donc je suis » ? Face à cette condition existentielle qui semble sans alternative, peut-on encore s’abstraire du régime du visible, ou y soustraire des objets du monde ? Ce nouveau numéro de la revue Tête-à-tête vise à questionner les enjeux de pratiques, de modes opératoires, de postures, de pensées qui mettent en question le règne sans partage d’une économie de l’image aussi démocratique qu’hégémonique.

Être ou disparaître, telle n’est pas la question. Car la disparition, le vœu d’invisibilité, d’effacement, d’immatérialité apparaissent clairement comme des stratégies revendiquées d’être au monde. [...]

Pirates - 2015-2016 --------------------

Bandit de grands chemins, des mers ou de l’internet, le pirate fait figure de voleur patenté qui peut commettre le pire pour servir son propre intérêt. Ces spoliations violentes peuvent pourtant tenir de l’héroïsme quand elles visent le détournement ou la mise en faillite des systèmes aux fins d’une redistribution des savoirs et des biens. La lutte contre certains dispositifs jugés liberticides peut aussi bien mener les pirates à recouvrer leurs droits qu’à laisser place au libéralisme sauvage le plus dommageable pour une démocratie tenue par ses lois. Vulgaires criminels de droit commun ou véritables résistants, figures littéraires et cinématographiques ou héros cachés d’une organisation souterraine, les pirates, avec ou sans code d’honneur, hantent ainsi les revers du monde, qu’ils proposent des alternatives de survie, d’authentiques plateformes pour contourner les lois ou qu’ils organisent des raids informatiques à l’instar de certains collectifs qui défraient la chronique. [...]

Partir - 2014 --------------------

Partir. Voilà commune façon d’agir. Même en partant de rien, on ne trouve guère d’itinéraire qui ne dispose au choix, au renoncement, au sacrifice, au départ, au partage, à la rupture, à la fuite, à la mort. Aussi de tout homme, pour oraison, on finira par dire qu’il est parti, préférant à l’idée qu’il puisse être emporté la possibilité que son épique destinée ne s’arrête pas au dernier souffle. Le thème résonne donc d’enjeux vitaux et, par-delà l’emphase romantique dont il est frappé, on comprend qu’il occupe une place importante dans la pensée et les œuvres.

Nous invitons dans ce numéro les créateurs pour qui partir, que l’action soit volontaire ou forcée, imaginaire ou réelle, ponctuelle ou définitive, devient la condition pour faire œuvre. Nombreux sont les artistes et penseurs dont la pratique est rivée à la question du départ, qu’ils en aient fait un sujet nodal, le moteur d’un projet ou encore un mode opératoire par lequel l’œuvre se construit. Le thème est fécond et draine un large éventail d’univers qui nous parlent de voyage, de transit, d’exil, d’errance…[...]

Human inside 2013 --------------------

L’humanisme est-il une idée dépassée ? Peut-être pas.

La perception d’un monde soumis à des mécanismes désincarnés, dématérialisés, crée manifestement une angoisse du corps social qui s’exprime à travers la revendication, souvent vague, d’un « retour de l’humain ». L’économie dominante génère des frustrations et le sentiment d’une perte de contrôle sur l’ordre des choses. À force de ne plus penser à dimension humaine mais de tout envisager à travers chiffres, courbes, modélisations et abstractions, les instances qui structurent nos sociétés (pouvoirs, entreprises, institutions) ont oublié que l’homme était à leur principe et qu’elles se devaient d’être à son service.

À de multiples niveaux de la société commencent à se faire entendre des voix dissonantes qui expriment un besoin d’humanité. [...]

Catastrophe ! Automne 2012 --------------------

La planète est en danger, le monde court à sa perte, nos jours sont comptés. Les scientifiques, relayés par les écologistes, ne cessent de nous mettre en garde devant le réchauffement climatique, la déforestation, la raréfaction des espèces… Catastrophe et progrès semblent plus que jamais l’avers et le revers d’une même médaille, comme l’affirmait Hannah Arendt. À chaque nouvelle catastrophe, nous entendons sonner le glas du séjour de l’homme sur Terre. Plus de châtiment divin, mais une éco-responsabilité qui nous poursuit jusque dans notre bain. Millénarisme culpabilisant, ou bien péril réel qui place l’homme à l’origine et au centre de sa perte ? [...]

Images du pouvoir - Printemps 2012 --------------------

Le pouvoir se gagne et s’exerce par l’image : celle qu’on donne par son action, celle que véhiculent les médias, celle qui s’ancre dans les imaginaires collectifs. Icônes et récits, palais et portraits, campagnes de communication et buzz manipulé constituent les ingrédients, traditionnels ou innovants, d’une représentation « aux ordres », au service de pouvoirs financiers, commerciaux, spirituels ou politiques. À l’heure d’une campagne présidentielle où chaque image de prétendant sera dupliquée à l’infini et véhiculée par les canaux encore libres et non « civilisés » de l’internet, nous nous demandons ainsi quelle histoire les grands communicants vont tenter de nous servir, et quelle image l’emportera sur le brouhaha politique. Naîtra-t-elle des traditionnels portraits protocolaires et surannés, ou bien d’un blog, d’un tweet inspiré, d’une photo de téléphone portable postée sur les réseaux sociaux, échappant (ou non) au pouvoir de ceux qui pensent contrôler l’opinion ? [...]

Témoigner- Automne 2011 --------------------

« Témoigner » pose la question de la médiation vers autrui de ce qui a été vu, entendu, vécu, donc nécessairement passé au crible de la parole, de l’image ou du texte. Les transformations, les écarts – même infimes – que suppose toute adaptation au médium choisi semblent faire de l’erreur et du mensonge des données consubstantielles à l’acte de témoigner. Autant qu’à celui qui témoigne, on pourra s’intéresser à la valeur de l’acte, perçu et jaugé à l’aune des preuves avancées et de leur mise en forme. Entre ce qui relèverait du devoir de mémoire institutionnalisé et d’un voyeurisme garantissant les petits succès d’audience, s’ouvre un large spectre où l’indécence et la vertu ne sont pas forcément là où on les attend. [...]

Résister- Printemps 2011 --------------------

Il y a dans le fait de résister une forme d’immobilité impliquant la force décuplée de quelque chose ou de quelqu’un qui ne cède pas. L’histoire du XXe siècle a pétrifié ses héros de la Résistance et celle des années 2000 enregistre une prolifération de mouvements contestataires nouveaux que les réseaux et la mondialisation ont contribué à rendre visibles. Les images produites par les mouvements alternatifs internationaux, les réseaux parallèles, les maisons d’édition, les revues, les œuvres contestataires, les sites Internet, les regroupements libertaires, les associations clandestines ou hypermédiatisées consacrent
de nouvelles « figures » qui empruntent à une rhétorique qui n’est plus seulement contestataire.
Au-delà de la mise en spectacle de la résistance ou de la mise en image de l’acte de résister, qui sont les penseurs, les créateurs, les artistes dont les productions feraient elles-mêmes œuvre de résistance ou de contestation ? [...]

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